« Aimer vos ennemis », écrit Juliette Gaté : l’injonction évangélique devrait donc devenir absolution instantanée ?
- Olivier Savignac, Président
- il y a 6 jours
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Réponse de l’association Parler et Revivre à la tribune (La Croix du 4 août 2025) de Juliette Gaté, maître de conférences en droit public et avocate au barreau d’Aix-en-Provence : https://drive.google.com/file/d/1Iq9O65qnDKJz-E5wse3fCZxN7mq1uutH/view?usp=sharing
Que devient cet appel lorsqu’il se place dans le vide sidéral qui sépare l’agresseur, ici le criminel—libre de choisir la violence— de la victime, qui n’a rien choisi ?
Avant de convoquer la miséricorde, rappelons le déséquilibre premier : un adulte a brisé une vie, un enfant en porte les cicatrices jusqu’à la fin de sa vie.
Dans cet écart abyssal, la justice, la peine et le pardon ne peuvent être renversés d’un revers de piété.
Chaque verdict, chaque sanction, chaque geste de miséricorde doit d’abord mesurer les plaies durables, les cauchemars récurrents, la confiance fracassée que l’abus et les violences inscrivent dans la chair et l’âme des personnes victimes.
Oublier cela, c’est exiger d’elles un double tribut : subir le crime hier, pour aujourd’hui porter la charge morale de pardonner. Dans quel but ? Pour que l’auteur et l’institution retrouvent leur tranquillité ?
Nous l’affirmons : le pardon n’efface pas la mémoire.
Le chemin de la vie s’est transformée en chemin de mort sur le plan psychologique, psychique et spirituel pour des centaines de milliers d’enfants en l’espace de quelques décennies : 330.000 enfants victimes depuis 1950 (CIASE). Certains d’entre eux sont morts. Beaucoup n’ont pas retrouvé ni ne retrouveront le « chemin de la vie ».
Comment enjoindre ces personnes à se placer dans une démarche de miséricorde et de Foi alors qu’elles ne croient plus en rien ?
La réhabilitation judiciaire et la réintégration sociale des personnes auteurs sont deux dimensions fondamentales à prendre en compte. Le travail entamé par l’Église depuis la création de la commission Christnacht en avril 2016, est le signe que cette dimension est au coeur de la préoccupation d’une partie des responsables de l’Église, depuis près de dix ans. Des solutions existent.
Permettre le retour en société d’un ancien auteur de crime ne revient pas à effacer les faits commis. Cela ne revient pas non plus à sonner le tocsin de la mort sociale à l’égard de ce même auteur lorsque ce dernier a purgé sa peine suite à sa condamnation pénale.
Une réhabilitation sociale est possible mais elle ne peut ni ne doit être une promotion.
La charge pastorale de la mission de chancelier diocésain et de délégué épiscopal aux mariages suppose avant toute chose l’exemplarité, la sécurité, et une confiance absolue.
L’expertise psychiatrique versée au dossier pénal de l’abbé Spina soulignait des traits narcissiques et pervers, un déficit d’empathie et la persistance d’un risque de récidive. Ce qui signifie le déni profond de la souffrance de la victime malgré la condamnation et la peine purgée désormais.
Demander à une personne victime d’« oublier » et de « passer outre sa profonde souffrance» pour autoriser la promotion d’un ancien criminel revient à déplacer la charge morale sur les plus fragiles. La miséricorde authentique suppose d’abord la protection des plus petits.
L’Église s’est engagée depuis plusieurs années dans réforme institutionnelle d’ampleur pour devenir « une maison sûre ». La CIASE a permis d’établir une feuille de route claire pour l’ensemble des responsables de l’Eglise de France dont la première recommandation est : « Vérifier les antécédents et empêcher tout accès à une mission d’Église » pour quiconque a commis des violences sexuelles. La nomination du père Spina les transgresse en bloc ; la tribune de Maître Gaté, en éludant ce cadre, remet en question des avancées institutionnelles majeures dans l’Eglise de France.
À Lourdes, en mars 2025, la Conférence des évêques de France (CEF) s’est à nouveau engagée à « empêcher tout accès à une mission d’Église pour tout auteur de violences sexuelles ». La décision de Toulouse contredit frontalement cet engagement. Elle sape les avancées obtenues de haute lutte par les associations, les fidèles et par les responsables d’Église eux-mêmes.
La souffrance première des personnes agressées semble être la grande absente du champ de vision de Maître Gaté, comme si cette souffrance n’était qu’un bruit de fond gênant face à sa quête de réhabilitation.
Peut-on vraiment parler de miséricorde quand on se refuse à nommer et à regarder d’abord la blessure en face ?
Et que penser du choix du mot "populisme" pour qualifier l’indignation de milliers de fidèles, choqués par la nomination d’un prêtre condamné pour viol ? Est-ce là un mépris de classe déguisé en théologie ? Ou une manière commode d’étouffer la légitime colère de celles et ceux qui ne peuvent oublier ?
Enfin, que reste-t-il de la liberté intérieure de croire, de penser, de ne pas pardonner, quand celles et ceux qui s’en tiennent là sont décrits comme déraisonnables ? À travers ce ton péremptoire, on ne lit pas un appel à la réconciliation, mais une assignation silencieuse à la docilité.
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